BTS : invitation au voyage – Espace Pédagogique Contributif (2024)

Entraînement n°3
Thème au programme : Invitation au voyage
Sujet complet conforme au BTS

Migrants, exilés, réfugiés :
de l’invitation au voyage à l’errance

BTS : invitation au voyage – Espace Pédagogique Contributif (1)Bruno Catalano, «Les Voyageurs» (bronze).
Statue exposée en 2013 au port de Marseille.

___Les progrès des modes de locomotion depuis la Révolution industrielle ont mis le voyage à la portée de tous. Les chemins de fer, les grands paquebots, l’aviation ont ainsi entraîné des expériences inédites du voyage. Pourtant, à côté de cette dimension artistique et touristique marquée par le dépaysem*nt et le désir d’aventure, le voyage a pris, particulièrement à partir de la deuxième moitié du XXème siècle, un caractère nouveau.

___Le recours à l’immigration massive, liée aux nécessités du développement économique, l’appel à la main d’œuvre étrangère, la destruction des équilibres traditionnels et la question du droit d’asile entraînent, particulièrement en ce début du XXIème siècle, un nouveau rapport à la frontière et au territoire. Chassés par la tragédie des guerres et de la misère, des milliers de réfugiés et de demandeurs d’asile entreprennent le voyage vers l’Europe pour obtenir aide et protection.

___Migrations, exils, errances : par leur ampleur et leur durée, ces flux migratoires en provenance du Moyen-Orient et des pays subsahariens bouleversent et inquiètent : les récits de voyage entrepris au XIXème siècle ont laissé place à une réalité dramatique qui fait la Une de l’actualité : tel est l’enjeu de ce corpus, centré sur les rapports entre voyage, immigration et clandestinité ; entre déracinement, nostalgie du pays natal et quête d’un impossible Eldorado…

Activités d’écriture :

♦ Synthèse :Vous réaliserez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents suivants :

  1. Document 1 : Marguerite Yourcenar, «Gares d’émigrants : Italie du sud», 1934
  2. Document 2 : Laurent Gaudé, Eldorado, 2006
  3. Document 3 : Valérie de Graffenried, « Voyage avec des migrants », Le Temps, 23 janvier 2015
  4. Document 4 : Nash Paresh, «Human trafficking», 2015

♦ Écriture personnelle (sujet au choix) :

  1. Dans quelle mesure notre expérience du voyage change-t-elle notre représentation du monde ?
  2. Selon vous, quel rôle joue le voyage dans la connaissance de l’autre ?

Vous répondrez d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances personnelles.

BTS : invitation au voyage – Espace Pédagogique Contributif (2)

Document 1 : Marguerite Yourcenar, «Gares d’émigrants : Italie du sud», 1934.

Gares d’émigrants : Italie du sud

Fanal rouge, œil sanglant des gares ;

Entre les ballots mis en tas,
Longs hélements, sanglots, bagarres ;
Emigrants, fuyards, apostats,
Sans patrie entre les états ;
Rails qui se brouillent et s’égarent.

Buffet : trop cher pour y manger ;
Brume sale sur la portière ;
Attendre, obéir, se ranger ;
Douaniers ; à quoi sert la frontière ?
Chaque riche a la terre entière ;
Tout misérable est étranger.

Masques salis que les pleurs lavent,
Trop las pour être révoltés ;
Etirement des faces hâves ;
Le travail pèse ; ils sont bâtés ;
Le vent disperse ; ils sont jetés.
Ce soir la cendre. À quand les laves ?

Tantôt l’hiver, tantôt l’été ;
Froid, soleil, double violence ;
L’accablé, l’amer, l’hébété ;
Ici plainte et plus loin silence ;
Les deux plateaux d’une balance.
Et pour fléau la pauvreté.

Express, lourds, sectionnant l’espace,
Le fer, le feu, l’eau, les charbons
Traînent dans la nuit des wagons
Des dormeurs de première classe.
Ils bondissent, les vagabonds.
Peur, stupeur ; le rapide passe.

Bétail fourbu, corps épuisés,
Blocs somnolents que la mort rase,
Ils se signent, terrorisés.
Cri, juron, œil fou qui s’embrase ;
Ils redoutent qu’on les écrase,
Eux, les éternels écrasés.

Marguerite Yourcenar, 1934.Les Charités d’Alcippe, Gallimard NRF, 1956, 1984.

  • Document 2 : Laurent Gaudé, Eldorado, 2006.

Laurent Gaudé (né en 1972) raconte dans Eldorado (Prix des lycéens de l’Euregio 2010) l’épopée dramatique de migrants africains épris de paix et de liberté qui rêvent de meilleures conditions de vie en Europe. Dans ce passage, Soleiman et Jamal, deux frères soudanais, font route vers la Libye afin de tenter la traversée pour l’Europe…

[Actes Sud, 2006, «J’ai lu», p. 88-91. De : «Dans ce paysage que nous ne connaissions pas», p. 88 à «Elles blessent toutes», p. 91]

____Dans ce paysage que nous ne connaissions pas, le guide nous mène jusqu’à une route. Une voiture nous y attend. J’aurais voulu qu’elle ne soit pas là. J’aurais voulu qu’il faille marcher pendant des heures, des jours même, pour parvenir à l’atteindre. Mais elle est là.

____Notre guide a salué le conducteur. Mon frère s’approche. Il parle à l’homme. Je n’entends pas ce qu’ils disent mais je vois mon frère sortir de l’argent et le lui tendre. C’est mon passage qu’il paie. Cet argent qu’il donne est celui qui lui manquera pour s’acheter des médicaments. Je voudrais lui crier de reprendre les billets mais je ne le fais pas. Je suis épuisé. C’est comme un peu de sa vie qu’il donne à cet homme. Il se condamne à la douleur pour moi. ·

____Je sais que maintenant les choses vont aller très vite. C’est ce que veut Jamal. Que je sois happé par le rythme du voyage. Le conducteur va vouloir que j monte et il démarrera sans attendre. Je veux un peu de temps. Je repense au thé que nous avons bu chez Fayçal. Je croyais que nous faisions nos adieux à la ville mais Jamal savait, lui, qu’il reviendrait. C’est à moi qu’il disait adieu. Cette tristesse dans ses yeux, c’était celle d’avoir à quitter son frère.

____Notre guide vient me saluer. Il me recommande à Dieu et ajoute, avant de faire trois pas en arrière : « Si tout va bien, tu seras à Al-Zuwarah dans deux jours. » Je regarde mon frère. Je suis perdu.
____— Où est-ce que je vais, Jamal ?
____Je ne sais même pas où je pars. Il voit mon trouble. Alors, encore une fois, il s’approche de moi et m’entoure de son calme. Il m’explique qu’il a payé pour tout, que je n’ai plus à me soucier de rien, simplement me concentrer sur mes forces et aller jusqu’au bout. La voiture m’emmène à Al-Zuwarah, sur la côte libyenne. Elle me déposera dans un appartement où les passeurs viendront me cher¬cher. Je paierai la deuxième moitié à ce moment-là, pour la traversée. Jamal parle lentement. Il a tout calculé. Tout prévu. Il me demande si j’ai bien compris. Je ne parviens pas à penser que je vois mon frère pour la dernière fois. La tête me tourne. J’ai besoin d’appui. […] Je me remplis de lui pour ne jamais oublier le visage qu’il a à cet instant.

____Je monte à l’arrière de la voiture qui démarre d’un coup, Jamal et le guide me font signe, un temps, de la main, puis me tournent le dos et reprennent leur marche en sens inverse. Je suis loin de chez moi. Cette voiture poussiéreuse m’arrache à ma vie. Ce sera ainsi désormais. Je vais devoir faire confiance à des gens que je ne connais pas. Je ne suis plus qu’une ombre. Juste une ombre qui laisse derrière elle un petit filet de poussière.

____Nous roulons sans cesse. De jour comme de nuit. Toujours vers la mer. Je me perds dans des terres que je ne connais pas. J’imagine Jamal en train de faire la route dans l’autre sens. li repasse la frontière, sans joie cette fois, sans embrassade, retrouvant sa vie laide d’autrefois. Comme une bête qui, après s’être échappée, retourne de son propre chef à l’étable.

____Je me suis trompé. Aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s’arracher la peau pour quitter son pays. Et qu’il n’y ait ni fils barbelés ni poste frontière n’y change rien. J’ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l’on perd dans la course. Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes.

Laurent Gaudé, Eldorado, Actes Sud, 2006, «J’ai lu», p. 88-91.
Edition numérique : https://www.google.fr/books/edition/Eldorado/C_QJL_AA3OwC?hl=fr&gbpv=1&dq=Laurent+Gaud%C3%A9+Eldorado&printsec=frontcover

Document 3 : Valérie de Graffenried, « Voyage avec des migrants », Le Temps*, 23 janvier 2015.
https://www.letemps.ch/voyage-clandestins-syriens-echoues-europe
* Le Temps est un quotidien suisse édité à Genève.

[…] Gagner l’Allemagne, c’est le vœu de Tariq. Mais pas seul : il voyage avec son bout de chou de neuf ans, Maher, qui trotte menu derrière lui malgré les dangers, le froid et la précarité. Ensemble, ils ont quitté la Syrie il y a plus de deux mois et ont rallié d’autres réfugiés syriens, migrants clandestins, qui tous veulent rejoindre le nord de l’Europe, par n’importe quel moyen.

Après l’enfer de la guerre, ils sont tombés aux mains de trafiquants sans scrupules qui les ont entassés à fond de cale pour traverser la Méditerranée, ont été secourus par les garde-côtes italiens, placés dans des camps de fortune, puis ils ont repris leur progression obstinée vers le nord, en s’arrêtant à Milan, le passage obligé vers lequel toutes les routes, légales et illégales, convergent.
[…]
Deux ou trois volontaires, selon l’heure, accueillent, conseillent et orientent les exilés syriens. Chaque matin, ils disposent une table à l’entresol du hall central […]. Les Syriens ne manquent pas d’arriver, petit à petit en fin de matinée, pour ce qui est devenu le rendez-vous informel des clandestins.
[…]
Tariq et Samir ont déboursé 6000 dollars chacun pour traverser la Méditerranée. Ils sont désormais à sec. Trois jours plus tôt, ils ont payé 400 dollars la place à un passeur pour qu’il les conduise en voiture jusqu’à Munich. «Tout était réglé, nous devions payer une partie au départ, le solde à l’arrivée.» Les détails sont arrangés par un compatriote syrien, un intermédiaire. Le conducteur, un Égyptien résidant en Allemagne, les pousse dans son minibus. «Après huit heures de route, il nous a débarqués précisant que nous étions à Munich», raconte Tariq. Ils étaient en fait retournés à la case départ, la gare de Milan.

En plus de Tariq et d’Afran, quatre autres passagers avaient pris place à bord du van. Tous ont été floués.
Aucun des pigeons n’osera porter plainte, explique Tariq: «Que dire au commissariat ? Que j’essayais de passer illégalement en Allemagne ? Je dois récupérer mon argent pour continuer le voyage !» Tariq n’a pas perdu espoir, il reste en contact téléphonique avec son voleur qui, jour après jour, lui promet de le rembourser.
[…]
La nuit est tombée depuis longtemps, mais ce n’est encore que le début de la soirée. Pour Tariq, Afran, Samir, Moncef, Abou Leyla et Maher, c’est l’heure du couvre-feu : ils logent dans un centre d’hébergement d’urgence situé en périphérie et doivent rentrer avant 20 heures. Le trajet prend une heure. Dans la zone industrielle où se trouve l’abri, via Corelli, le paysage devient gris et l’éclairage public anémique. Le centre se trouve derrière murs et grillages, en contrebas d’une bretelle d’autoroute. «Il y a une majorité de Syriens», explique le directeur: «Ils se répartissent dans six centres, dont celui-ci. En automne, il y en avait quatre de plus. Les réfugiés ne restent pas longtemps. Ils filent rapidement vers d’autres cieux.»

L’Italie ne figure pas au rang des pays d’accueil que choisissent, quand ils le peuvent, les réfugiés, commente Samir: «Il n’y a rien pour nous ici. Pas de travail, ni de perspectives. Les Italiens ne veulent pas de Syriens chez eux. En revanche, en Allemagne, en Suède et en Norvège, c’est facile d’obtenir un permis de résidence. En Suède, tu reçois même de l’argent.» Abdallah tient cela de contacts, cousins et amis, qui ont fait le voyage avant lui. Il a fait son choix: Stockholm. Est-il sûr de l’accueil qui lui sera réservé ? « Après ce qu’on a traversé, tout semblera doux comme du miel. En plus, j’ai de la famille là-bas. »

Le lendemain, un mercredi, dès le matin les trafics s’organisent à la gare de Milan. A l’entrée, un rabatteur a réuni une demi-douzaine de candidats au voyage, probablement aussi des Syriens. Le Tunisien rencontré la veille apparaît et récolte discrètement des billets de banque, un rendez-vous est pris. Malgré les filouteries, la voiture est réputée plus sûre que le train où les contrôles des douaniers sont de plus en plus stricts.

Le petit groupe de migrants avec quelques sacs pour tout bagage est ramené vers une salle d’attente à l’intérieur. La pièce est chauffée, mais l’odeur d’urine et de relents d’alcool infâme. Une heure d’attente avant qu’un comparse ne rapplique pour prendre en charge la troupe, qui quitte les abords de la gare en faisant de prudents détours puis disparaît dans un immeuble.

Retour à la gare. Tariq, que nous avons quitté la veille, arrive le premier, vers midi. Il a veillé une partie de la nuit, pour imaginer une solution, en vain: il est tributaire d’un virement hypothétique. Samir suit, il veut partir au plus vite, et pourrait avancer une partie de l’argent du voyage à Tariq et à Afran, qui refusent d’abord. Sur les bancs de marbre de l’entresol, la discussion bat son plein. L’impatience et la peur alternent : partir ou attendre encore ? Afran et Tariq penchent pour différer le départ, Samir et Abou Leyla ont tranché, ils partent. Moncef ne sait pas. […]

  • Document 4 : Nath Paresh*, «Human trafficking»** (2015).

* Nath Paresh est un dessinateur travaillant pour le quotidien Khaleej Times, publié en anglais à Dubaï et aux Emirats Arabes Unis depuis 2005. Il a également dessiné dans leHerald Tribune en Inde de 1990 à 2005. Il a remporté le prix de l’ONU en 2000 et 2001. Ses dessins sont publiés dans diverses publications internationales à travers le monde : le New York Times, International Herald Tribune (Paris ), Los Angeles Times, World Press Review, The Guardian, Ouest France, Time, Courrier International…

** Traite d’êtres humains. «Reach Europe at a low price» : «Rejoignez l’Europe à faible coût».

BTS : invitation au voyage – Espace Pédagogique Contributif (3)

«Human trafficking» publié le 27 avril 2015 par Nath Paresh dans The Khaleej Times (Émirats Arabes Unis).
(https://politicalcartoons.com/cartoon/163161/human-trafficking)

Dessin de presse reproduit dans l’ouvrage Tous migrants, 60 dessins de presse (préface de Benjamin Stora), Gallimard 2017, page 40.

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Name: Clemencia Bogisich Ret

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Job: Central Hospitality Director

Hobby: Yoga, Electronics, Rafting, Lockpicking, Inline skating, Puzzles, scrapbook

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